Patrick Lefèbvre, photographe portraitiste à Namur

Vanitas, acte 1

Un thème imposé par mon école des Beaux-Arts : "Vanitas vanitatum et omnia vanitas"

"Vanité des vanités, et tout est vanité" sont des paroles par lesquelles l'Ecclésiaste - un livre de la Bible hébraïque - enseigne que tout est illusion et déception ici-bas.

Les vanités... késako ?
Pour faire bref disons qu'il s'agit d'une approche artistique, d'une forme de nature-morte née en peinture au 16ème siècle.

Et pour nous épargner l'histoire de l'Art nous dirons que dans ce courant, en l'absence de toute perspective d'une vie future, s'illustrent négativisme et pessimisme!

Le décor est planté, on ne va pas rigoler. Quoique ;-)

Un thème certes imposé mais dont l'approche et la réalisation sont libres. La perception, la sensibilité, le domaine de prédilection, l'inspiration de chacun peut s'exprimer. Et donc place à l'imaginaire, aux ressentis, aux espoirs, aux regrets, aux visions,...

Pas question cependant de se lancer dans un tel projet sans une réflexion préalable, aussi après documentation je jetterai grossièrement mes idées sur le papier. Ce document qui ensuite me permettra de présenter le projet à mon modèle avec force précisions et détails.

Le Backstage

L'éclairage d'ambiance, constitué d'une torche-flash équipée d'une grande boîte à lumière rectangulaire (120cm), est placé au dessus et en avant du modèle. Face à lui et légèrement sur la gauche, la boîte à lumière est disposée horizontalement. Cet éclairage, placé à +/- 60° et proche du sujet, est à la limite d'apparaître dans le champ de prise de vue.

Après examen attentif des résultats annoncés par les lampes-pilotes la puissance des flashes est finalement ajustée de sorte que la lumière provenant de la droite, côté visage, soit légèrement plus intense. Cet effet, à peine perceptible, conduira néanmoins immanquablement le regard du spectateur à s'arrêter sur visage du modèle. Notez que le visage a été placé à droite pour des raisons similaires. En effet, notre sens de lecture occidental se faisant de gauche à droite, nous entrerons dans l'image par la gauche et en fin de parcours notre regard s'arrêtera à droite sur le haut du corps et le visage (Rem.: je n'avais pas tenu compte de cela sur mon croquis de départ).

La symbolique

1. pour la petite photo de fond, quelques rares (légèreté) symboles de joie, de vie,...
   • une bouquet de tulipes (couleurs vives, chaleur, gaité) dans un vase de verre ciselé (transparence, lumière)
   • une rose rouge (vie, amour) dans une carafe de verre contenant un peu d'eau (vie)
   • du vin rouge (plaisir) dans un grand verre à pied
   • un grand sablier (du sable présent en haut, il reste du temps)
   • la nudité toute en pudeur (naissance, pureté)
2. pour la photo principale, des symboles de fin, de mort,... et en plus grand nombre (lourdeur)
   
   • un crâne de squelette (peur, crainte, mort)
   • un goblet en étain (opacité, froideur)
   • une rose blanche (pureté) dont quelques pétales fanés sont tombés (temps passé, décrépitude, fin)
   • une bougie blanche venant de s'éteindre (dernier souffle, fin)
   • le grand sablier en étain (tout le sable en bas, le temps est passé)
   • la nudité voilée de noir (linceul, mortuaire, cacher)

Remarques de prise de vues

Il aura fallu pas moins de 3 heures de studio pour réaliser les images nécessaires. Sans assistant(e) et le modèle ne pouvant absolument pas bouger pour la similitude de poses sur les 2 images à combiner, c'est le photographe qui doit placer un à un les objets symboliques de la vanité et reprendre ensuite sa place derrière l'objectif (boîtier sur pied) pour juger de l'effet sous l'angle correct. Le modèle est couché à 50 cm du sol, et moi je suis debout pour disposer les objets de décor. La différence de perspective à ce moment est très importante par rapport à celle constatée dans le viseur de l'appareil. De nombreux essais, avec des placements différents et des modifications au centimètre près, auront été nécessaires à l'obtention des 2 décors que j'ai finalement retenus. Autre difficulté: imaginer le second décor en créant le premier, et créer le second en se rappelant du premier!

Bien que le studio ait été préalablement bien chauffé, voire surchauffé, la pose totalement immobile a assez rapidement provoqué une sensation de froid chez le modèle. Un plaid en polar fut le bienvenu pour préserver chaleur et pudeur tout au long de ces 2 heures de pose nue sur les 3 pendant lesquelles nous avons occupé le studio.

Post-production

La post-production a principalement été axée sur le travail de la lumière, qui constitue l'habillage des matières. 

La petite photo de fond a été "vieillie" par une trame pour en donner cet effet de tableau ancien et la vivacité des couleurs a été affaiblie par mesure de crédibilité.

N'ayant pas vraiment trouvé ce que je cherchais, l'encadrement de cette petite photo m'a posé beaucoup de problèmes : il était trop clinquant, trop bling-bling. Il a donc été totalement retravaillé, tant au niveau de la texture que de la lumière en matière de luminosité, contraste, saturation,... et tout cela par zones afin de lui donner une cohérence par rapport à l'éclairage du sujet principal. Cela reste néanmoins le maillon faible de la composition.

Un soin tout particulier a été réservé aux reflets de lumière sur le tulle noir de l'avant-plan. Il m'importait de donner du corps et de la matière à ce voile pourtant très mince et fluide.

Le crâne a demandé beaucoup de retouches pour être rendu crédible car sa matière plastique très blanche et brillante renvoie énormément de lumière, à la limite du brûlé. Cette blancheur et brillance le font aussi manquer de relief et il a été nécessaire de jouer des courbes de niveaux pour y pallier.

La rose blanche a nécessité un peu de torture de ma part pour la rendre moins fraîche, et le détail de ses pétales a été accentué pour en accroître le relief et l'impression de présence, d'importance.

La fumée surplombant la bougie éteinte est totalement artificielle, créée en post-production. Impossible de capturer les volutes de la vraie fumée malgré une bonne dizaine d'essais. Ayant tout réalisé seul à la prise de vue il me fallait allumer la bougie pour ensuite l'éteindre, et me dépêcher d'aller déclencher l'appareil 3 mètres plus loin... avant que la fumée se soit dissipée en un fin brouillard qui par ailleurs faisait perdre du piqué à mon image! Mon simple déplacement créait un appel d'air qui détruisait systématiquement la colonne de fumée. Ce furent les seuls moments désagréables, tant pour moi qui pestait de ne pas y parvenir que pour mon modèle qui prenait froid, s'engourdissait et souffrait de bientôt 2 heures d'immobilité dans une position que la durée rendait de plus en plus inconfortable.

Le rideau est tombé sur l'acte 1 de ce projet.
Une première approche assez classique des vanités à laquelle j'apporte l'importance du personnage, respectant ainsi le choix d'en avoir fait mon centre d'intérêt photographique.

Vanitas, actes 2 et 3

 Ces actes mettront des mois avant de s'écrire...

Ce n'est que lorsque le hasard soumettra à mon regard la vue d'une robe, un peu particulière, que l'inspiration me reviendra. Sur cette robe légère est imprimé à répétition un motif qui retiendra mon attention: une tête de mort !
C'est ainsi que se révéla la suite de mon projet, et je fis l'acquisition de cette robe. Je tenais le lien pictural, il me restait à imaginer la ou les scènes. J'en réaliserai 2, afin d'entourer mon "acte 1" et de constituer ainsi un triptyque. 

 En fin d'année académique mon triptyque sera exposé avec les travaux de l'atelier de photographie de l'École des Beaux-Arts de Namur. Il suscitera pas mal d'intérêt, me vaudra des questions très intéressantes. Quelques félicitations et aussi des encouragements à poursuivre mon travail de la lumière et des matières sur les corps. Je découvrais le pur bonheur d'exposer pour la première fois dans un cadre non virtuel.